Vous ne la connaissez probablement pas mais elle, elle connaît tout le monde. Valérie Atlan, 44 ans, baigne dans le Hip-hop depuis l’apparition du mouvement en France dans les années 80. Entre l’organisation des premières soirées à Paris, ses stages chez Puff Daddy et son passage à la tête des magazines historiques (Radikal, R&B Mag…), « Valou » est une Encyclopédie du rap game.
Forcément, elle regorge d’anecdotes incroyables : qu’il s’agisse de la fois où elle a fait pleurer Mariah Carey, de sa rencontre avec la mère d’Aaliyah ou encore du jour où 2pac a failli lui tirer dessus, Valérie a des histoires qui vont vous laisser sans voix.
Elle organise aujourd’hui la tournée événement « l’Âge d’Or du Rap Français », qui réunit les groupes les plus légendaires de la fin des années 90. L’occasion pour Clique de revenir avec elle sur sa carrière hors-norme, qui traverse trois décennies de Hip-hop en France. La seconde partie sera consacrée à la tournée de L’Âge d’Or.
PARTIE 1 – VALÉRIE ATLAN, 30 ANS DANS L’OMBRE DU HIP-HOP FRANÇAIS
Qui es-tu ?
Je m’appelle Anne-Valérie Atlan, mais tout le monde m’appelle Valérie ou Valou. Je suis née en 1972 et j’ai grandi dans le 16ème arrondissement de Paris, à côté du Trocadéro, avenue Kléber. Je suis née dans les beaux quartiers, d’une famille d’origine juive-algérienne… Au départ, rien ne me prédestinait à tomber dans le Hip-hop.
La place du Trocadéro, c’est un des premiers endroits où le Hip-hop est introduit en France, non ?
(NDLR : en 1982, la radio Europe 1 organise une tournée en France pour faire découvrir le mouvement Hip-hop, tout juste naissant. Parmi les invités, les breakers du Rock Steady Crew traumatisent les français et déclenchent des vocations, notamment celles de deux jeunes nommés Kool Shen et JoeyStarr). Oui, le Troca’ était l’un des premiers lieux où les B-boys venaient s’entraîner à danser avec leurs ghetto-blasters. C’était en bas de chez moi, j’avais peut-être 12-13 ans. C’était extraordinaire, on est en 1984, je sors le samedi après-midi, je les vois et ça me paraît incroyable. Là-bas, il y avait beaucoup de gens qui ont percé ensuite, comme DJ Fab ou Lion Scott, le frère de Joeystarr. Il n’y a pas beaucoup de filles, encore moins de blanches, et encore moins de juives. Je devais être vraiment une exception.
Rock Steady Crew, 1996 : Courtesy of Asia One pour Red Bull BC One
Quel genre de musique on écoutait dans ta famille ?
De la musique orientale et de la variété française. J’avais des grands frères fans de Francis Cabrel, Gérard Lenorman, Michel Sardou et Véronique Sanson. J’étais la seule à écouter du rap à la maison.
Quand tu découvres cette culture qui émerge au milieu des années 80, qu’est-ce qui t’attire ?
L’énergie. À ce moment-là on est très peu à être dans le Hip-hop sur Paris, peut-être une cinquantaine. Tout le monde se connaît. Le Hip-hop c’était vraiment des bandes : les Asné, les Black Dragons, les Requins Vicieux, les Requins Juniors… C’était des bandes qui dépouillaient les « petits bourges » qui vivaient dans les mêmes quartiers que moi, qui leur prenaient leurs Westons, leur doudoune et leur perfecto Schott. Certains, comme les Black Dragons, avaient une portée politique : ils chassaient aussi les Skins et se battaient beaucoup. J’étais proche de Momo, le chef des Asné. J’ai baigné dans tout ça dès le départ.
À la fin des années 80, France Soir publie cette carte très décriée. Elle fait l’amalgame entre bandes, groupes de rap et crews de graffiti
À ce moment-là, tes parents pensaient quoi du rap ?
Ils trouvaient ça étrange mais ils me faisaient confiance. C’était très très cool, il y avait toujours un peu de méfiance, mais comme je bossais bien à l’école j’étais assez libre.
Vous aviez des lieux de rendez-vous ?
On passait des dimanches après-midi au Timist, une petite boite à Saint-Germain-des-Prés. Il n’y avait pas de rap, ça n’existait pas vraiment encore, la musique c’était vraiment de la soul. Ça se passe par bouche à oreille, on n’avait pas Internet et tout ça.
Quand tu débarques aux après-midis, tu es accueillie comment ?
Pas très bien par les filles, qui étaient en majorité rebeues et renoies. Mais avec les mecs ça allait. Après, tu deviens amie avec tout le monde, et on se rend compte qu’on a tous les mêmes codes dans la façon de parler, de s’habiller… C’était beaucoup vestimentaire : les premières baskets Fila, les Patrick Ewing, les Jordan en 89 (celles de Do the Right Thing)… Tu te fais ramener des baskets des États-Unis. J’avais des blousons Starter des Celtics, des Sixers, des Double Goose en cuir. Une casquette Public Enemy et des ceintures avec des name plates…
Strarter Kit du B-boy, par Valérie Atlan
Très vite, j’ai rencontré là-bas Crazy JM, qui était un passionné de Hip-hop. Il avait envie de partager cette culture. Donc à 16-17 ans on a monté une association, IZB, et on a commencé à organiser des concerts. C’était les tout premiers évènements Hip-hop en France, notamment les premiers concerts de rap américain. C’était le bordel. À l’Élysée Montmartre en 89 c’était Lakim Shabazz, Ultramagnetic MCs, l’anglais Fresh Ski et les français de Nec + Ultra. On est tous jeunes, on ne connaît rien au business, mais on a envie de partager cette culture.
Pour l’anecdote : à cette époque-là, dans la culture hip-hop, on devait choisir sa branche. On était, au choix, DJ, danseur, beatboxer, MC ou graffeur. Dans notre groupe, il y en avait un qui voulait être DJ, Anouar Ajoui. On lui disait que c’était un tueur en cuts (NDLR : une technique de DJing), alors JM l’a appelé « Cut Killer ». Maintenant il a une super carrière. Au sein d’IZB, il y a eu beaucoup de gens qui ont continué dans le live et qui en ont fait leur carrière.
Flavor Flav du groupe Public Enemy et Valérie Atlan, 1990
Quand les IZB décident de faire des concerts de rap, ils ont déjà de l’expérience dans le domaine ?
Non. À l’époque, les tourneurs (NDLR : les organisateurs professionnels de concerts) ne s’intéressaient pas du tout au rap. Ils pensaient que c’était une tendance qui allait mourir. Sur le premier concert qu’on organise, on perd d’ailleurs beaucoup d’argent… Mais après on fait des soirées, et on devient reconnus pour ça. À l’époque on vendait les préventes sur les quais du métro, on faisait le tour de Paris pour coller les affiches sur les murs… On faisait des soirées à l’AquaBoulevard, 3 500 préventes vendues, c’était fou. Juste avec notre petit réseau de la rue. Ça m’a forgée ; aujourd’hui, c’est mon métier. Crazy JM est d’ailleurs à l’origine de la réussite de beaucoup de gens dans ce milieu, et on ne le cite pas assez.
Photo : Le crew IZB (Valérie est avec la casquette rouge) avec Jack Lang, alors au Ministère de la Culture. Article dans VSD, fin des années 80.
Quel est le plus grand succès d’IZB à ce moment-là ?
C’est Public Enemy au Zénith de Paris en 1990. Je ne sais pas si ça évoque quelque chose aux gens aujourd’hui, mais à l’époque c’était ÉNORME. Un des tout premiers groupes américains à amener de la politique, de la revendication dans les textes… Il y a eu beaucoup de polémiques autour de leur musique. Et visuellement, c’était fou : Chuck D le rappeur posé et Flavor Flav’, qui était un peu le clown avec sa grosse horloge. Un peu comme JoeyStarr et Kool Shen, dans l’énergie scénique.
Il paraît que tu as vu 2Pac en concert ?
C’était dans les années 90, j’avais 18 ans. Après mon bac, je suis partie étudier l’anglais à Mills College à Oakland, en Californie. Un jour, il y avait un concert de 2Pac en solo dans la région de San Francisco (NDLR : a priori, le 1er février 1993 à San Geronimo, Californie). Il n’était pas encore très connu en France, il venait de sortir son premier maxi… Mais quand tu vivais à côté d’Oakland, tu étais obligé de le connaître. J’y suis allée avec une petite indonésienne qui était avec moi à l’école et que j’avais engrainée. C’était dans une petite salle, peut-être 600 personnes…
Quelqu’un l’a énervé alors qu’il était sur scène, et là il a sorti son revolver et il a tiré dans le tas. Ça m’a marquée à vie. On s’est tous mis à courir, la petite qui était avec moi ne connaissait rien au rap, elle n’a rien compris. Je disais « mais appelez la sécurité !! ». Je vois des mecs qui rentrent en sang : « mais c’est nous la sécurité ! » « ah ok… ». On s’est cachées une heure ou deux dans une petite loge. Au final c’est les flics qui m’ont ramenée au campus. C’est la seule fois où j’ai croisé 2pac – et malheureusement c’était dans ces conditions-là. (NDLR : il y a quelques mois, la ville d’Oakland a déclaré que le 16 juin serait désormais le Tupac Shakur Day et serait fêté chaque année)
Photo de Tupac sur le livret de l’album « All Eyez On Me » en 1996, quelques mois avant sa mort.
Tu fais quoi après ces études ?
Je fais un an à New York, notamment pour Puff Daddy chez Bad Boy Records, et chez Double Exposure, une boîte de prod’ où je bossais pour des rappeurs US. J’en profitais pour faire des interviews : il y avait deux jeunes mecs à Paris qui avaient monté un magazine qui s’appelait Radikal, je leur envoyais des papiers depuis les États-Unis. Puis je suis revenue en France et j’ai bossé dans un hôtel. Un jour, les gens de Radikal m’ont proposé d’être rédactrice en chef de leur magazine. J’ai tout quitté pour vivre de ma passion. J’ai démarré comme ça en 1997, propulsée rédactrice en chef de Radikal.
Valérie Atlan et P.Diddy, 1995
Il y avait des raisons particulières à ta nomination ?
À cette époque, le rap était très crapuleux et il s’avère que les fondateurs du magazine avaient eu des histoires avec des mecs. Donc j’ai aussi servi de médiatrice, je connaissais du monde via le Trocadéro etc. Puis j’ai dirigé tout le magazine. J’interviewais tous les gens de l’ombre : les managers par exemple. Ça ne se faisait pas trop à l’époque, des gens comme Russell Simmons qui ne s’était jamais fait interviewer, Clive Davis qui a signé Whitney Houston, Lyor Cohen de chez Def Jam (NDLR : il deviendra plus tard le patron mondial de Warner Music)… C’était une autre époque, les labels avaient plus d’argent pour les magazines, on nous envoyait souvent aux États-Unis pour des papiers. C’est impensable aujourd’hui, alors que paradoxalement le rap n’a jamais rapporté autant d’argent !
Russell Simmons et Valérie Atlan, 1998
Quand tu reprends la rédaction en chef de Radikal, le magazine existe depuis combien de temps ?
J’arrive au dixième numéro, ma première couverture c’est La Cliqua. Une grosse époque commence où j’interviewe énormément d’artistes. Je ne fais pas forcement les français au début, j’ai plus ma culture des USA. Je rencontre Mouloud Achour qui a 17 ans à ce moment- là, il a été engagé par les fondateurs du magazine et on s’entend tout de suite très bien. La partie « rap français » est gérée par un type très jeune qui s’appelait Michael Guedj. Il avait aussi monté un label, il manageait les danseurs du groupe Wanted… Un jour, Michael se fait assassiner pour des histoires qui n’étaient pas liées au hip-hop. Il avait 21 ans. Ça m’a mis un coup, j’ai voulu arrêter.
Valérie Atlan et Snoop Dogg, 1994
C’était difficile d’être une femme dans cet univers ?
Ouais, après je suis quelqu’un de très fort. Tu te prends beaucoup de pression. Je te parle d’une époque où tu disais vraiment ce que tu pensais. J’ai eu le malheur un jour de dire vraiment ce que je pensais d’un artiste : c’était K-mel d’Alliance Ethnik. Aujourd’hui ça va, il n’y a pas de problème, mais je me suis pris des insultes par lui parce que j’avais décrit ce que j’avais ressenti, et ce n’était pas agréable. Alors que d’un autre côté, Missy Elliott me recevait en interview avec un énorme pot de fraises Tagada…
Diam’s (en robe) et Monsieur R en couverture du magazine Radikal, 1998
Après mon passage chez Radikal, j’ai tout quitté et je suis repartie aux USA. Je suis revenue un an plus tard (avec un rotweiller !) pour m’occuper du magazine R.A.P. J’ai aussi travaillé pour l’Affiche quand Olivier Cachin est parti, puis j’ai dirigé R.E.R. jusqu’en 2005. J’ai terminé dans la presse en étant rédac’ chef de R&B Mag. J’aimais beaucoup. J’ai suivi Beyoncé depuis le début, elle connaît mes enfants, mes chiens… J’ai aussi rencontré Aaliyah pour le magazine, elle était très gentille, sa mère était venue avec elle à Paris. Elle était logée à l’Hôtel Warwick sur les Champs-Élysées, elle s’était faite agresser et voler son gros diamant, quinze ans avant Kim Kardashian…
La chanteuse Aaliyah et Valérie Atlan, 1995
Une fois que tu as quitté la presse, qu’est-ce que tu as décidé de faire ?
L’internet et les sites spé arrivant à grand pas, ça a commencé à être la mort des mags papier. Notre éditeur a dû mettre la clé sous la porte. Donc après, ça a été le chômage. J’avais besoin de souffler aussi : je venais d’avoir une petite fille que j’ai élevée seule. Enfin, je continuais quand même à travailler à la radio Générations… Après, j’ai décidé de me mettre à mon compte, forte de mon carnet d’adresses et de mon réseau.
Valérie Atlan et Beyoncé, 2002
Être indépendant c’est Hip-hop !
Oui c’est vrai, c’est Hip-hop, et c’est éreintant aussi. On est en 2005, et je croise par hasard Michel, le meilleur pote de Diam’s, qu’elle m’avait présenté quelques années auparavant. On décide de monter une boite ensemble. Au début je voulais faire des émissions télé mais c’était compliqué.
Je me rappelle d’une émission que tu présentais dans une voiture…
Oui, dans un Hummer. C’est à ce moment-là que, pour faire des émissions, on monte une structure qu’on appelle Mazava Corp. et on se lance. J’ai toujours voulu valoriser le Hip-hop, je voulais apporter de la classe, j’en avais marre qu’on montre cette culture toujours sous un angle sale. Je me dis, « qu’est-ce qui représente la classe ? On va prendre un Hummer. »
La classe, cela dépend des goûts… (rires)
Non mais attention, c’était un Hummer limousine !
Encore pire ! (rires)
C’était au moment de MySpace, je trouve le seul Hummer en France de treize mètres de long. On crée l’émission « Dix Minutes avec » : on accroche des caméras dans le véhicule, je reçois des artistes et on fait le tour de Paris dans le Hummer en discutant. On était diffusés sur Zik’, une chaîne du groupe AB qui ne passait que des clips de rap indé un peu pourris. Tout le monde regardait la chaîne pour se marrer. Plus tard, en parcourant le monde lors des tournées de La Fouine (NDLR : explications un peu plus loin), je me rends compte que cette émission est ultra regardée, surtout au Maghreb et au Canada. Pour un concert en Algérie, je monte sur scène pour coller la tracklist… Et là ya 5 000 algériens qui crient mon nom : « Valou Valou ! ». On pensait vraiment faire ça modestement mais ça a eu une grosse portée. Ca a duré un an et demi. On a eu The Game, Chamillionaire, quelques cainris, la Mafia K1Fry… Et c’est justement lors de cette émission que je reçois la Fouine.
10 minutes avec… SNIPER présenté par Valérie Atlan.
Comment s’est faite votre connexion ?
Je le contacte sur MySpace, et je lui demande pourquoi quand je demande une interview à sa maison de disques ils me disent « reste en chien ». Ça le fait marrer, il me dit « ok ya pas de problème, je viens ». Et on a vraiment connecté. Je vais le voir au Trabendo un mois plus tard, la salle était à moitié vide. Je me prends une claque : je vois un mec énorme sur scène mais une organisation pétée, pas de décor, je me suis dit « qu’est-ce que c’est que ça ? Il mérite une vraie production scénique. »
Il n’était pas connu à ce moment-là, c’était son deuxième album. Dans les coulisses, je lui dis qu’on fait des émissions et je lui propose de produire son prochain concert. Il me met en contact avec ses managers et je booke la Cigale, 1400 personnes. Une semaine après, les billets étaient en vente. T’imagines le travail ? Là, tout le game nous tombe dessus : « Mais Valou tu vas te planter, tous les concerts qu’il a faits c’était vide !» Tout le monde essaie de nous démotiver. Mais avec Michel, quand on se met sur quelque chose, on est à fond. On colle des affiches partout et on communique à fond. Et il se trouve que c’est son premier concert à afficher complet.
On a fait un concert de malade ; jusqu’à aujourd’hui, Laouni dit que c’est son meilleur concert. On a ramené les Twins (NDLR : duo de danseurs du 95 travaillant désormais avec Beyoncé), c’était leur tout premier concert. L’activité de tourneur de Mazava, notre boîte, a commencé avec cette date, qui a été un vrai succès. Finalement on a fait son Olympia. Je savais qu’il aimait beaucoup Jacques Brel, alors on l’a mis en costard devant un micro sur pied. On a travaillé avec lui jusqu’en 2012 à peu près, juste avant qu’il s’embrouille avec Booba. On a aussi produit sa première web série « Lourd de fou », on a beaucoup travaillé sur son image jusqu’à cette époque.
La Fouine et Valérie Atlan dans l’émission « 10 minutes avec »
Vous vous quittez en bons termes ?
On reste très proches de Laouni. On continue une activité normale : on fait des clips, on booke des tournées d’autres artistes (Fababy, Sultan, la tournée Capitale du Crime 3…) Avec les mecs de Banlieue Sale, je propose de faire une tournée avec six artistes. On termine par le Bataclan, ça ne s’était jamais fait. Anecdote : comme on est tous mis en scène dans sa petite web série « Fouiny Story », les fans connaissent tout le monde. Pendant la tournée, à Bordeaux, on descend du tour bus : il y a une fan qui nous attend et qui a peint des portraits de nous tous. Elle a offert son tableau à chacun.
Ça ressemble à quoi, une fan de La Fouine qui fait de la peinture ?
C’est une petite blanche très douée qui s’appelle Mathilde. Elle devait avoir 25 ans. C’est anecdotique mais c’est pour te dire qu’il y a des vrais fans. Et puis on faisait vraiment partie de son entourage.
À ce moment-là, en 2012, tu as 40 ans. Est-ce que tu as la même énergie, la même envie de travailler dans ce milieu ?
Oui, parce que c’est ma passion. C’est ma culture, on ne peut pas travailler sans passion. Quand tu n’as plus de passion, il ne faut plus travailler. Il faut partir, je sais pas, élever des animaux (rires). Il ne faut pas faire ce métier par contrainte, d’ailleurs ce n’est pas un métier de contrainte. Sinon tu deviens aigri, tu fais des mauvais articles…
En off, tu as évoqué certaines valeurs, notamment celles de la Zulu Nation, dont tu fais partie. Est-ce que ça existe encore dans le hip-hop ?
Je pense qu’il y a encore des gens qui ont des valeurs, mais le public cherche plutôt des modes qu’il a envie de suivre instantanément. Tout le monde écoute du rap maintenant. Aujourd’hui tout le monde est dans le rap, mais avant on allait soit dans le beatboxing, soit dans le DJing, le graff, la danse… Ça vient pas mal des USA : autant ce sont eux qui ont créé cette culture, autant ce sont eux qui ont fait rentrer la thune dedans. Les jeunes de maintenant veulent faire de l’argent.
Logo de la Zulu Nation
Parmi tes interviews, il y en a une qui t’a marquée plus que les autres ?
Quand tu en as fait beaucoup, c’est dur d’en choisir une. LL Cool J peut-être. C’est l’une des premières signatures de Def Jam, il a un parcours incroyable. J’avais acheté son livre plus jeune où il raconte toute son histoire, je connaissais bien mon sujet… Donc je commence à lui parler de sa grand-mère : je savais que c’était elle qui avait fait de lui ce qu’il était. Elle lui avait offert son premier truc pour faire de la musique. Et quand je lui ai parlé de ça, son visage s’est illuminé : on devait faire 15 minutes d’interview, on a fait 1h30 et c’était extraordinaire. Et puis, quand il est arrivé, j’étais en train de jouer « I Need Love » sur un piano. (rires)
Valérie Atlan et LL Cool J, 1997
T’avais fait exprès ?
Ouais, ça sert de savoir jouer. (rires) Mais il y en a eu tellement d’autres… J’ai fait Jay Z dans son jet privé. Parmi les marquantes, il y a Mariah Carey peut-être, parce que je l’ai faite pleurer. C’était très émouvant. Elle était au sommet de sa carrière… Je l’ai faite pleurer parce que je lui ai parlé de son enfance et de son métissage. Ça a été très dur pour elle : quand elle était jeune, il n’y avait pas beaucoup de métisses aux USA, les communautés étaient vraiment séparées. Les métisses étaient très mal vus. Quand elle avait 8-10 ans, je savais qu’elle avait très mal vécu le fait de ne pas pouvoir se situer : elle ne savait pas si elle était noire, blanche… Ça m’intéressait d’avoir son point de vue, parce qu’à ce moment-là je venais d’avoir ma fille qui est métisse et j’avais besoin de conseils pour l’élever. On a vraiment eu un rapport entre femmes, très cool. Je ne supporte pas quand il y a des gens dans mes interviews : or c’était vraiment l’époque où elle était une diva avec 50 personnes autour d’elle, une pour sa mèche de cheveux, une pour ses cils, c’était ouf. J’avais demandé que tout le monde sorte, elle m’avait déjà bien kiffé donc elle a accepté. Bon, elle n’a pas pleuré de ouf hein ! (rires) Mais elle a eu une petite larme qui a coulé à un moment… C’était hyper émouvant.
Tu as combien d’enfants maintenant ?
Deux, ils vont avoir 17 et 12 ans.
Qu’est-ce qu’ils écoutent ?
Du Hip-hop. Ils écoutent Nekfeu, S-Crew, Kery James… Au lycée ils écoutent beaucoup de rap. Mais c’est des ados : ils sont très secrets. De temps en temps, je tombe sur des trucs ; ils sont vraiment très à la pointe de tout. C’est ma fille qui me dit parfois ce qui vient de sortir. De toutes façons, je les ai nourris à ça : je partais interviewer des stars, ma fille était avec moi dans son berceau. Elle s’est retrouvée dans les bras d’Usher, de Beyoncé, de Dr Dre… Heureusement, elle n’a jamais eu de comportement de fan. Ma fille et mon fils jouent tous les deux de la musique. Piano et batterie, je les ai éduqués là-dedans.
Dr. Dre, Valérie Atlan et sa fille Laureen, 2000
Est-ce que, maintenant, tu comprends les parents qui flippent quand ils entendent des grossièretés sur certains morceaux ?
Oui, par rapport au rap des années 90 où tu n’avais pas un gros mot, le rap d’aujourd’hui est très vulgaire. PNL c’est très vulgaire. Bien sûr je comprends. C’est vrai que quand je suis en voiture avec mes enfants, je zappe parfois. Quand tu n’as pas d’enfant c’est dur de s’en rendre compte, mais quand tu en as, tu réagis vraiment autrement, tu prends les paroles vulgaires en pleine face.
Comment tes enfants voient ton job ? Ils ont envie de suivre tes traces ?
Ils ne me le disent pas, mais je pense qu’ils prennent beaucoup exemple. Je ne les forcerai à rien, ils font ce qu’ils aiment.
Pour lire la deuxième partie de l’interview de Valérie Atlan, consacrée à l’Age d’Or du Rap Français, cliquez ici.
Photographies : Courtesy of Valérie Atlan
Propos recueillis par Charlotte Vautier et Anthony Cheylan.